Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière

Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière

Entre souvenirs de paysages et éclats de lumière, Maxime Prangé compose une œuvre sensible où chaque projet devient une expérience de perception. Il nous parle ici de mémoire, de tradition japonaise et de la part invisible de la lumière.

English version here→

Tu as grandi entre lacs et montagnes, avec le paysage en mouvement vu depuis le train. Que reste-t-il aujourd’hui de cette expérience dans ton regard, et comment cela influence ton travail ?

De ces espaces et expériences qui sont restés imprimés dans mes souvenirs, il reste tout. J’ai souvent conduit mes recherches photographiques à questionner et explorer ces souvenirs, ces paysages dans leur dimension sensorielle et émotionelle, tel un chercheur en art.

C’est à dire étudier le sensible avec une démarche scientifique, pour comprendre d’une part ma propre perception, ce qui l’affect et la transforme, puis comment cela se conjugue dans un ressenti collectif puis une construction culturelle.

Lorsque j’intègre ces recherches dans ma pratique de designer, c’est ce qui génère une collection comme Washi No Akari explorant les sentiments lumineux du Japon à travers le papier washi et par extension l’histoire sensible de l’ouverture et du seuil dans l’architecture japonaise.

Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 1
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 2

Depuis l’enfance, tu observes la lumière avec une grande attention. Qu’est-ce qui te fascine en elle ?

Qu’est-ce que le réel ? Au-delà de la lumière, ce qui me fascine et m’intrigue c’est son pouvoir de révélation du monde qui nous entoure, et avec, tous les processus physiques qui entrent en jeu. J’aime beaucoup cela en particulier, la compréhension scientifique de la lumière, pour ce qu’elle me permet de dépasser la fascination. Je me suis très tôt questionné sur la perception que chacun a des couleurs et comment nous en affirmons une compréhension collective alors que leur perception est purement subjective. Le fait d’avoir cristalisé ce questionnement du réel sur le rôle de la couleur m’a conduit à étudier le visible plutôt que d’autres espaces sensoriels.
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 1
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 2

Washi No Akari réunit papier washi, Torii, mobilier traditionnel japonais et lumière. Quelle a été ta démarche pour concevoir cette collection ?

Tout est parti d’une expérience optique consistant à générer des paysages horizontaux comme des peintures de Rothko, directement avec l’appareil photo. En les découvrant, en les parcourant, un rapprochement assez évident s’est fait avec un projet de paravent lumineux et dynamique en washi que je développais avec des fabricant de papier installé en France et formés au Japon.

Je me suis intéressé davantage au mobilier et à l’architecture traditionnel japonaise dans laquelle s’incrit ce papier washi. Cela a donné une première pièce, Indigence, puis les Torii et les Seuil, chaque fois inspiré par un objet ou élément en particulier de cette culture.

C’est une construction très organique, faite de coïncidences et d’heureuses rencontres. Mais rien n’est dû au hasard, il y a toujours ce fil conducteur des sentiments lumineux pour aller vers tel ou tel choix.
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 1
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 1

Les TORII jouent entre lumière naturelle et lumière intérieure. Quelle importance donnes-tu à ce contraste ?

La lumière n’a pas qu’une fonction éclairante de nuit, tout comme le luminaire n’est pas qu’un objet sculptural de jour. De la même façon que la lumière naturelle (le soleil, la lune, les étoiles, etc..) révèle un paysage différent à chaque instant du jour et de la nuit, les Torii évoluent lentement dans le temps grâce à cette transition des couleurs entre lumière extérieure et intérieur. C’est une manière de les rendre plus vivante et de les inscrire dans le paysage du quotidien.

Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 1
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 2

“Du dedans au dehors, du jour à la nuit, de l’environnement au paysage. Je mène dans ces espaces sensibles une recherche visuelle et matérielle sur les relations entre culture, lumière et perception.”

Tu convoques des références japonaises tout en affirmant une esthétique personnelle. Comment abordes-tu cette tension entre tradition et création ?

Je ne peux que partir de ma perception pour étudier le réel et le comprendre. Même avec une connaissance profonde du Japon, elle serait toujours teintée par mon imaginaire et ma culture. Je choisis de fait de ne pas aller vers la littéralité ou la reproduction mais de raconter cette rencontre personnelle.

L’objet en lui-même résonne avec le Japon sans prétendre lui ressembler, car c’est un mélange d’évocation. Quant aux paysages que j’inscris dans mes créations, ces sentiments lumineux sont certes les miens ; pour autant, par leur abstraction, chacun s’y projette avec sa propre histoire et son imaginaire.

Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 1
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 2

Peux-tu nous décrire ton processus créatif pour la création d’un objet, de sa génère à sa production ?

La démarche est la même de façon générale, mais chaque espace de recherche sur l’influence culturelle de la lumière a un cheminement propre. Je dirais qu’il s’agit d’un processus très ouvert avec des objectifs définis qui peut s’écrire ainsi :

Un travail d’observation photographique vient d’abord nourrir une recherche sur un sentiment lumineux singulier, parfois même un simple phénomène, comme la projection au sol d’un vitrail, la lumière d’un riad ou le jour éternel des cercles polaires. Au fil du temps, des résonances, des questions et des réflexions surgissent sur l’environnement culturel du sujet. En parallèle, une étude documentaire, historique et matérielle permet de comprendre l’influence de ce sentiment lumineux sur un peuple qui le vit quotidiennement, sur son architecture, sa spiritualité. Peu à peu, tout cela construit une toile abstraite en apparence mais pleine de sensations cohérentes, dont je commence à dessiner le cadre : c’est le passage à la forme, à la matière, à l’usage. S’en suivent des allers-retours, des maquettes, des recherches techniques, des développements d’outils qui cristallisent peu à peu des objets manifestes. Le travail en collection, comme objectif final, donne un cap et un cadre pour la suite, afin d’y intégrer de nouvelles créations.

Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 1

Quelle est la place de l’outil dans ta pratique, et quels sont tes outils de prédilection ?

Ce que l’on peut établir par mon processus de création, c’est que je fais de la photographie par le design, en créant des objets qui projettent une écriture de lumière. La question de l’outil est intrinsèque à ma pratique. Chaque outil ET savoir-faire associé que je manipule ou que je fabrique vise à produire une écriture de lumière. Et chacun est propre a une collection. Pour Washi No Akari j’utilise l’aérographe en association avec un tour à bois modifié pour que le papier soit mis en rotation très rapide.
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 1

Aujourd’hui, qu’est-ce qui te stimule le plus dans ta pratique ?

La recherche artistique que je mène sur l’influence culturelle de la lumière est un projet sur le temps très long et un espace d’apprentissage sans fin. Cela me donne un objectif lointain et rassurant pour générer une œuvre sensible. Ce qui me stimule véritablement, c’est de travailler ainsi à transmettre un regard global sur la lumière pour apporter une dose d’imaginaire et de sensible dans le quotidien de chacun.
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 1
Maxime Prangé—Voir, se souvenir et façonner la lumière - 2
Interview — Margaux Delacre
Photography— Maxime Prangé
Graphics — Wookmama Design Studio